Chocolat Bonnat: accepte de mieux payer ses producteurs pour garantir la qualité!

La chocolaterie familiale torréfie et transforme dans son usine de Voiron (Isère) les fèves de cacao qu’elle achète. Depuis plus d’un siècle, elle entretient des liens privilégiés avec des producteurs indépendants. Son dirigeant actuel, Stéphane Bonnat, rémunère les fèves de grande qualité jusqu’à 7 fois le prix du marché.

Stéphane Bonnat espère toujours trouver la bonne fève, pas dans une galette des rois mais dans la jungle. Avant la crise sanitaire, ce septième dirigeant de la chocolaterie familiale se rendait une quinzaine de fois par an au Brésil, au Mexique ou encore au Pérou. Il allait à la rencontre des producteurs avec qui sa famille travaille pour certains depuis plusieurs décennies. La création de la chocolaterie Bonnat, à Voiron en Isère, remonte en effet à 1884.

Alors que les moyens de transport n’étaient pas aussi développés, les générations précédentes correspondaient par courrier avec les producteurs. « J’ai trouvé des lettres remontant à 1902 ! Ce lien a donc toujours existé, nous essayons de le renforcer. Etre sur place est, pour moi, l’assurance de mettre en place des programmes qualitatifs et sociaux indissociables de la production d’un bon cacao », explique l’entrepreneur soucieux de ses engagements sociaux et environnementaux.  

La filière française du chocolat s’est engagée, début octobre, dans une « Initiative française pour un cacao durable » avec trois objectifs : améliorer le revenu des cacaoculteurs d’ici 2030, mettre fin aux approvisionnements en cacao issu de la déforestation d’ici 2025 et accélérer la lutte contre le travail des enfants d’ici 2025. Evidemment,certains professionnels du chocolat , tels la Maison Bonnat n’ont pas attendu cette initiative tardive pour prendre des engagements à leur échelle. 

En direct des plantations

La situation économique des producteurs s’est fortement dégradée ces dernières années. Le prix du cacao a été divisé par trois en trente ans et seuls 6 % du prix payé par le consommateur final revient aux producteurs, contre 16 % dans les années 1980. Cela a des conséquences sur les modes de production.

« Les conditions de travail dans les plantations ne sont pas optimales, regrette Amourlaye Touré, représentant de l’ ONG Mighty Earth pour l’Afrique de l’Ouest, et membre fondateur du mouvement ivoirien des droits de l’homme (MIDH). Bien qu’il ait diminué, le travail des enfants est encore répandu, comme le travail forcé dans certaines plantations reculées. »

En plus d’une politique volontariste des Etats pour lutter contre, les professionnels du chocolat ont un rôle à jouer, estime Gilles Rouvière, secrétaire général du Syndicat du chocolat. « Il faut soutenir des programmes d’éducation dans les pays producteurs ainsi que des initiatives en faveur des producteurs afin qu’ils mettent en place des pratiques plus respectueuses de l’environnement et des droits humains ». 

Juste rémunération des producteurs

L’entreprise Bonnat s’y engagé avec plusieurs familles de cacaoculteurs dans le monde. « Au Pérou, nous participons au programme cacao contre coca , raconte le maître chocolatier. Nous faisons arracher la coca pour la remplacer par des cacaoyers et nous finançons les producteurs tout le temps de la transition, c’est-à-dire entre cinq et sept ans. Nous les formons à la culture du cacaoyer, et leur garantissons un prix d’achat largement supérieur aux prix locaux dans le secteur. » 

Stéphane Bonnat s’assure ainsi que le savoir-faire de la culture du cacao perdure selon les règles qui feront l’excellence de la fève qu’il recherche pour ses préparations. « C’est une question de bon sens : si nous voulons de la qualité, il faut que ceux qui la produisent vivent dans de bonnes conditions. » Et pour s’en assurer, le maître chocolatier a même directement acheté des parcelles de terre en Amérique du Sud pour les mettre à disposition des producteurs, ainsi que tout le matériel adéquat. « Et nous leur achetons leur production jusqu’à sept fois le prix du marché », ajoute l’entrepreneur.

Les fèves de cacao récoltées sur ces terres représentent environ 15 % des 170 tonnes annuelles achetées par la Maison Bonnat pour ses tablettes et ses confiseries. Le reste provient de différents groupements de petits producteurs localisés en Amérique du Sud essentiellement, à Madagascar et en Indonésie. Une partie est originaire de Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao avec 43 % des fèves produites en 2019, derrière le Ghana (19 %) et l’Equateur (6 %). 

Et nous leur achetons leur production jusqu’à sept fois le prix du marché »,

Pour cette production-là, contrairement aux autres, Stéphane Bonnat passe par un distributeur européen. « C’est très compliqué de travailler en direct en Côte d’Ivoire. Il y a une multitude de petits producteurs qu’on ne connait pas. Les interlocuteurs référents sont souvent des représentants du gouvernement, et puis la réglementation est différente. Pour le transport par exemple, il faut absolument être assimilé à un transporteur maritime pour des histoires d’assurance sur le cacao flottant. » 

Modes de production traditionnelles

Traçabilité, soutien aux producteurs, qualité de la fève… Ses voyages au coeur des plantations permettent aussi à Stéphane Bonnat d’acquérir des connaissances en botanique et d’affiner ses recherches de variétés de cacaoyers oubliées. Lors d’un périple en terres brésiliennes, il a ainsi redécouvert le maragnan lisse qu’on pensait éteint, éradiqué par une maladie. « Il faut revenir à des méthodes de productions plus traditionnelles bien plus productives à l’hectare que les techniques modernes, assure le maître-chocolatier. Contrairement à ce qu’on croit, l’essentiel de l’empreinte carbone du chocolat ne correspond pas à son transport jusqu’en Europe mais se fait plus tôt, dans les plantations. »

Avec ses partenaires producteurs, Stéphane Bonnat encourage donc la polyculture pour ne pas appauvrir les sols, favoriser les interactions naturelles entre les différentes espèces et diversifier les sources de revenus des cacaoculteurs. « Quand c’est possible, nous les aidons à acheter les parcelles de forêt attenantes pour les protéger. Les forêts préservent les cacaoyers des maladies et leur apportent de l’eau. Dans certaines peuvent aussi se trouver des espèces endémiques de cacao, qui sait ? » 

A défaut d’un cacaoyer endémique, c’est un bébé jaguar et sa mère que Stéphane Bonnat a trouvé dans une forêt. Il a demandé la suspension de toute activité pour les laisser tranquilles. Une zone de quatre hectares condamnée, mais qu’importe, « la question de l’argent perdu ne m’a même pas traversé l’esprit ». Ce qui n’empêche pas la Maison Bonnat d’en gagner. En 2021, l’entreprise familiale a réalisé un peu moins de 7 millions d’euros de chiffre d’affaires, en progression par rapport aux années précédentes. 30 % se fait à l’export, principalement grâce à ses tablettes au packaging inchangé depuis toujours.